13

 

— Ça n’a pas l’air de te tracasser qu’on ait été obligés de s’arrêter, lança Lachlain par-dessus son épaule, en vérifiant pour la troisième fois les couvertures qu’il venait d’accrocher devant la fenêtre de la chambre.

Passé minuit, les vannes célestes s’étaient ouvertes, déversant une pluie diluvienne qui avait ralenti les voyageurs. Il avait dit à Emma que Kinevane se trouvait encore à deux heures de route ; or le jour se lèverait dans trois.

Elle pencha la tête de côté, consciente de la profonde déception de son compagnon.

— Moi, j’étais d’accord pour continuer, lui rappela-t-elle.

Elle en était d’ailleurs la première surprise. D’habitude, quand il était question du soleil, elle ne prenait pas les choses comme elles venaient.

Satisfait de son écran improvisé, Lachlain se laissa tomber dans un fauteuil. Décidée à ne pas le regarder, Emma s’assit au bord du lit, la télécommande à la main, pour passer en revue les chaînes cinéma.

— Tu sais très bien que je ne prendrais pas le risque à cette heure-là, déclara-t-il.

Lorsqu’il avait affirmé qu’il veillerait dorénavant à lui éviter de se brûler, il ne s’agissait visiblement pas de paroles en l’air. N’empêche. Elle ne comprenait pas qu’il ait réussi à se retenir de tenter le coup, cette nuit. Si elle avait été emprisonnée à l’étranger pendant cent cinquante ans et qu’il lui était resté deux heures de route pour rentrer chez elle, elle aurait traîné jusque-là n’importe quel vampire récalcitrant.

Lachlain, lui, s’y était refusé. Il avait préféré dénicher une auberge, moins chic que les précédentes, avait-il prévenu, mais où ils seraient en sécurité. Il s’était même senti assez à l’aise pour demander deux chambres communicantes, parce qu’il comptait dormir et qu’il avait promis à Emma de ne plus le faire en sa compagnie. Un rapide calcul avait appris à celle-ci qu’il venait de passer près de quarante heures sans fermer l’œil.

Pourtant, il répugnait visiblement à admettre qu’il avait besoin de sommeil. Il n’en avait même parlé que par distraction, en promenant autour d’eux un regard aigu – ce qu’il faisait de plus en plus souvent. Avant d’ajouter d’un air absent qu’il aurait pu s’en passer, si sa blessure avait guéri normalement.

Il voulait parler de sa jambe. On aurait dit qu’elle avait été plâtrée pendant des années. Emma ne pouvait s’empêcher d’imaginer ce qui s’était passé pour qu’il en arrive là.

Il avait dû la perdre, ce n’était pas possible autrement. La marque de crocs imprimée dans son bras, cette petite cicatrice qu’il regardait parfois avec une sorte de tendresse – au point qu’Emma se demandait si elle ne préférait pas cette expression à un câlin – disparaissait presque à vue d’œil, alors qu’il boitait toujours. Sans doute sa jambe se régénérait-elle totalement.

Emma releva brusquement les yeux. Bon, elle avait regardé sa jambe, d’accord… mais il en faisait autant avec les siennes, les yeux rivés à ses cuisses, l’air… animal. Elle empoigna sa jupe par l’ourlet, puis se mit à rebondir au bord du lit en se tortillant et en tirant sur le tissu. Lachlain demeura suspendu au moindre de ses gestes, un grondement à peine audible au fond de la gorge. Ce bruit rauque la fit frissonner et lui donna l’envie irrationnelle d’accentuer ses mouvements pour qu’il en profite davantage.

Lorsque Emma la Raisonnable rougit à ces pensées et rabattit sur ses jambes le coin de la couverture, il lui jeta un regard où se lisait une franche déception.

Elle détourna les yeux puis reprit la télécommande, dans l’espoir de gérer au mieux leur curieuse situation. Il n’était vraiment pas nécessaire qu’elle partage une chambre d’hôtel avec un Lycae, alors qu’ils étaient tous les deux lucides et qu’elle prenait l’habitude de s’endormir chaque nuit dans ses bras – et dans un bain –, lui nu, elle en petite culotte…

— Je vais regarder un film, annonça-t-elle en se tournant vers Lachlain après s’être éclairci la gorge. À ce soir, hein ?

— Tu me mets dehors ?

— En résumé, oui.

Il secoua la tête.

— Je reste avec toi jusqu’à l’aube.

— J’aime bien être seule de temps en temps, et ça ne m’est pas arrivé depuis trois jours. Ça te ferait vraiment mal de sortir de ma chambre ?

À le voir aussi déconcerté, on aurait juré que l’envie de passer un moment sans lui était un signe de folie indiscutable.

— Tu ne veux pas partager ce… ce film avec moi ? (La manière dont il posait la question faillit arracher un sourire à Emma.) Après, tu pourrais de nouveau boire un peu…

L’amusement de la jeune femme s’évanouit à cette proposition sensuelle, énoncée d’une voix gutturale, mais elle ne détourna pas les yeux, trop fascinée par l’intensité avec laquelle il l’examinait.

Il lui demandait de boire parce qu’il y avait pris autant de plaisir qu’elle, elle, n’en doutait pas. Si stupéfiant que cela puisse paraître, elle avait senti son érection à ce moment-là – elle n’aurait pu la rater – et elle avait lu le désir dans ses yeux. Comme en ce moment…

Le silence fut brisé par des cris d’extase féminins. Emma pivota en sursaut vers la télé. Elle avait sans y penser pressé les boutons de la télécommande, jusqu’à tomber sur Cinemax. Qui, à cette heure tardive, devenait purement et simplement Cinesex.

Le feu aux joues, elle pianota frénétiquement sur la télécommande, mais les chaînes normales se plaisaient apparemment à diffuser Infidèle ou Eyes Wide Shut. Heureusement, elle finit quand même par tomber sur un film où on ne baisait pas…

Et merde. Le Loup-garou de Paris.

En pleine scène gore.

Lachlain bondit sur ses pieds sans lui laisser le temps de changer de chaîne.

— C’est comme ça… c’est comme ça que nous voient les humains ?

Il semblait horrifié.

Elle songea à d’autres films de loups-garous – Dog Soldiers, Les Entrailles de l’enfer, Hurlements, Le Mystère de la bête humaine – et hocha la tête. Tôt ou tard, il les verrait, et il apprendrait la vérité.

— Eh oui.

— Toutes les créatures du Mythos ?

— Euh, hmm… non, pas vraiment.

— Pourquoi ?

Elle se mordit la lèvre.

— Ma foi, d’après ce que j’ai entendu dire, les Lycae ne se sont jamais occupés de relations publiques, alors que les vampires et les sorciers, par exemple, y consacrent un certain budget.

— Et ça marche, ces relations publiques ?

Il regardait toujours la télé, l’air dégoûté.

— Disons que les sorciers passent pour des fêlés qui n’ont aucun pouvoir et les vampires pour un… un mythe, un vrai. Séduisant.

— Mon Dieu.

Il se laissa tomber sur le lit en expirant profondément.

La violence de sa réaction incitait Emma à approfondir le sujet.

— Le loup-garou qu’on voit là… tu veux dire qu’il n’a rien à voir avec un vrai, c’est ça ? questionna-t-elle.

Il se frotta la jambe. Fatigué, visiblement.

— Bordel, Emma, tu ne peux pas me demander franchement à quoi je ressemble quand je me transforme ?

Elle pencha la tête de côté. De toute évidence, il avait mal à la jambe. Or elle détestait voir souffrir quelque créature que ce soit… y compris un Lycae mal élevé. Elle décida de le distraire en continuant à l’interroger.

— Bon. À quoi tu ressembles quand tu te transformes ?

La surprise qu’il éprouva d’abord se mua en incertitude, avant qu’il ne réponde enfin :

— Tu as déjà vu un fantôme masquer un être humain ?

— Bien sûr, acquiesça-t-elle.

Après tout, elle vivait dans la ville du monde la plus saturée de Mythos.

— Alors tu sais ce que c’est. On voit toujours l’humain, mais le fantôme est bien là aussi. Quand je me métamorphose, c’est pareil. On me voit toujours, mais quelque chose de plus animal, de plus fort m’accompagne.

Elle se tourna vers lui, s’allongea à plat ventre puis s’appuya sur les coudes pour placer le menton dans ses mains, attentive.

Lorsqu’elle lui fit signe de continuer, il s’adossa à la tête de lit, ses longues jambes tendues.

— Pose-moi des questions.

Elle émit un soupir exagéré.

— Il te pousse des crocs ? (Il hocha la tête.) Et du poil ?

Cette fois, il ouvrit des yeux ronds.

— Grand Dieu, non.

Emma, qui avait pas mal d’amis velus, trouva le ton vexant, mais décida de ne pas s’occuper de cela – pour l’instant.

— Je sais que tes yeux virent au bleu.

— Oui, et puis je gagne en robustesse et mon visage change.

Elle fit la grimace.

— Il te pousse un museau ?

Il lâcha un petit rire.

— Non, pas comme tu le crois.

— Ma foi, ça n’a pas l’air très différent de toi tel que tu es là.

— Oh, si. (Il reprit son sérieux.) Nous, on appelle ça saorachadh ainmhidh bho a cliabhan… laisser la bête sortir de sa cage.

— Tu crois que j’aurais peur ?

— Les vampires les plus vieux, les plus puissants, prennent la fuite dans ces cas-là.

Elle se mordilla la lèvre en réfléchissant à ce qu’il venait de lui apprendre. Elle avait beau faire, elle n’arrivait à l’imaginer que passionné.

Il se passa la main sur la bouche.

— Il se fait tard. Tu n’aimerais pas boire avant l’aube ?

Elle aurait aimé boire à ses veines à un point carrément gênant, aussi haussa-t-elle les épaules et baissa-t-elle les yeux vers le doigt qu’elle promenait sur le motif de cachemire du couvre-lit.

— On y pense tous les deux, ajouta Lachlain. Et on en a tous les deux envie.

— C’est vrai, murmura-t-elle, mais je n’ai pas envie de ce qui va avec.

— Et si je promets de ne pas te toucher ?

— Oui, mais… (Elle s’interrompit, rougissante.) Si nous… nous laissons… emporter ?

S’il se mettait à l’embrasser et à la caresser, une fois de plus, elle savait pertinemment qu’elle ne tarderait pas à le supplier d’entrer dans son lit, comme il disait.

— Je poserai les mains sur les couvertures et je ne les bougerai plus de là.

Elle considéra lesdites mains, les sourcils froncés, en se mordillant la lèvre.

— Mets-les derrière ton dos.

La requête déplut visiblement à son compagnon.

— Je les poserai… (Il regarda autour de lui, puis leva les bras au-dessus de la tête, paumes tournées vers l’extérieur.)… là, et je ne les bougerai plus, quoi qu’il arrive.

— Promis ?

— Promis juré.

Elle pouvait bien chercher à se convaincre que la faim seule l’incitait à s’approcher de lui à quatre pattes, ce n’était pas vrai, elle le savait. Il y avait aussi le besoin de retrouver la sensualité de l’acte, la chaleur et le goût de Lachlain sur sa langue… le pouls qu’elle sentait accélérer en lui, comme si elle lui donnait du plaisir en buvant avidement.

Lorsqu’elle s’agenouilla devant lui, il rejeta la tête en arrière pour exposer son cou.

Son érection la rendit nerveuse.

— Tu ne bouges pas les mains ?

— Non.

Incapable de s’en empêcher, elle se pencha vers lui en l’attrapant par la chemise et lui planta les crocs dans la peau. Une chaleur et un plaisir indescriptibles explosèrent en elle. Un gémissement lui échappa, dont Lachlain lui renvoya l’écho. Les sensations étaient si violentes qu’elle faillit basculer.

— Mets-toi… à cheval sur moi, râla le Lycae.

Elle obéit avec plaisir : c’était plus facile pour elle dans cette position. Elle se sentait plus détendue, elle jouissait mieux du goût du sang et des impressions associées. Sans lâcher la tête de lit, Lachlain donna un coup de hanches dans sa direction… puis, avec un autre gémissement, il se força à cesser – à grand-peine.

Mais elle aimait les bruits qu’il produisait, elle aimait les sentir, elle en voulait davantage. Elle se laissa aller complètement contre lui, indifférente à sa jupe qui remontait sur ses cuisses. Une chaleur brûlante l’accueillit, faisant naître entre ses jambes une douloureuse palpitation. Ses pensées s’obscurcirent.

Il est tellement dur…

Dans une quasi-inconscience, elle se mit à se frotter contre son compagnon pour se soulager.

Morsure Secrète
titlepage.xhtml
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Cole,Kresley-[Ombres de la nuit-1]Morsure secrete(2008).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html